Article publié le 27 Février 2024 11:00:00
par Sophie MAXENCE

Les frais d’abandons, de plus en plus nécessaires pour les associations ?

L’application de frais d’abandons, de l’ordre de 80 euros dans les refuges de la SPA pour une prise en charge « dans les règles », soulève une question complexe pour les associations et refuges indépendants, contraints d’arbitrer entre des préoccupations morales et pratiques.

Rappelons-le, l’abandon sur la voie publique ou dans la nature est considéré comme un acte de cruauté passible d’une amende de 45 000€ et de 3 ans d’emprisonnement. Si l'abandon illégal est sévèrement puni par la loi, le fait de céder légalement son animal à une association reste une démarche délicate qui soulève de nombreuses problématiques. A commencer par la crainte de favoriser les abandons sauvages. « Comment arriver à ce que la personne ne laisse pas l’animal dans la rue plutôt que de nous le confier ? » s’interroge ainsi l’association Chacun cherche son chat dans le Val-de-Marne (94).

« Sans ça, on ne fait rien »

Mais les contraintes financières auxquelles sont soumises les associations tendent à faire changer les pratiques. Les budgets déjà grevés par un nombre élevé de prises en charge d’animaux errants ont souvent du mal à absorber l’accueil de nouveaux animaux. Les frais d'adoption ne suffisant plus à couvrir l'ensemble des dépenses, certaines associations se sont résolues à demander aux cédants des frais d’abandon. « Quand je suis arrivée il y a environ deux ans, nous ne demandions pas de participation financière pour les abandons, témoigne Céline de l’association Les Chachous de Chacha dans le Val-d’Oise (95). La situation a changé. Nous avons une grosse dette vétérinaire et nous serons de plus en plus amenés à appliquer ces frais. » Dans la Vienne (86) l’association de Paroles de Chats a pris la décision de demander une participation financière de 80€ pour les abandons. « On n’a pas le choix. Avec l’inflation, l’alimentation, la litière et tout ce qui est traitement vermifuge ou médicamenteux nous coûtent une fortune » détaille Camélia, la présidente.

À ces contraintes s’ajoute la baisse des dons comme le mentionne Lisa de L’Odyssée d'Argos, association basée en région Occitanie mais œuvrant   sur l’ensemble de la France pour sauver des chiens. « Une prise en charge nous revient en moyenne à 670 euros pour l’alimentation, les soins vétérinaires mais aussi le matériel, l’éducation et les frais de logistique. C’est lourd pour une petite association non subventionnée. Nous avons donc décidé d’appliquer des frais d’abandons de 200€. Sans ça, on ne fait rien. »

Une forte charge émotionnelle pour les associations

Évidemment, les cas de conscience se posent. Si un cédant refuse de payer pour abandonner son animal, que va-t-il advenir de celui-ci ? « Il se retrouve dans la rue et on va le retrouver en encore plus mauvais état. Donc on le prend » répond Céline des Chachous de Chacha. Les associations doivent ainsi jongler entre leurs impératifs financiers et leur mission de protection animale alors que pour elles, la charge émotionnelle est forte dans chaque cas d’abandon. « D’autant plus dans des petites structures, souligne Camélia de Paroles de Chats. Les gens ont la phrase facile : « si vous ne prenez pas mon animal, je le fais euthanasier ». Ils vont toucher les points sensibles ; ils les connaissent. »

Cependant, toutes les situations ne se valent pas. « Récemment nous avons eu un abandon de la part d’un monsieur qui n’avait plus de logement, détaille la bénévole des Chachous de Chacha. C’était un peu compliqué de lui demander des sous. Nous avons également un jeune homme qui nous a appelé au décès de sa grand-mère, il était en internant et ne pouvait pas garder le chat. Les parents étaient visiblement absents sur le sujet et ça avait l’air très douloureux pour lui. Là non plus nous n’avons pas appliqué de frais. » Dans ces situations, l'humain prend le pas sur le financier, mettant en lumière l'importance d'une approche « au cas par cas » dans la gestion des abandons.

Sensibiliser à la responsabilité qu'implique l'acquisition d'un animal

Par ailleurs, l’inflation qui frappe durement les associations n’épargne pas les propriétaires. « Avant, l’abandon de chiens était surtout dû à des problèmes de comportement, explique Lisa de L’Odyssée d’Argos. Je trouve que les demandes ont évoluées. En ce moment elles concernent beaucoup les chiens âgés. Les gens ont surement peurs des frais vétérinaires. Le contexte économique est devenu difficile et avoir un chien est presque un luxe maintenant. Malheureusement, beaucoup de personnes n’ont n’en pas toujours conscience avant d’acquérir un animal. »

Au-delà de la simple perception financière, l'imposition de frais d'abandon vise à sensibiliser les cédants à la responsabilité qu'implique l'acquisition d'un animal. Cela relève d’une prise de conscience collective sur la nécessité de prévenir les abandons et d'encourager des adoptions responsables. Ce qui signifie qu’une discussion doit s’engager avec le cédant. « Il faut mettre les formes et les mots, prendre le temps de discuter avec les personnes, défend ainsi Camélia de Parole de Chats. Souvent des gens nous contactent après avoir été rejetés d’autres association. Ils ont été mal accueillis parce qu’ils voulaient abandonner leur animal. Ils ont peurs d’être jugés alors qu’il ne faut pas décourager les démarches responsables. » La ligne de conduite est la même du côté de l’Odyssée d’Argos. Lisa, la responsable, précise d’ailleurs demander aux cédants des frais de prise en charge et non des frais d’abandon : « C’est une différence de point de vue. Ça reste des abandons, mais pas à la sauvette. Nous sommes face à des gens qui nous confient leur animal et qui veulent faire les choses correctement plutôt que de publier une annonce sur Leboncoin. »

Mais les associations osent-elles franchir le pas ? Nombreuses sont les petites structures à rester prudentes sur cette question. Natacha, fondatrice du Refuge des Grands Ajoncs dans les Deux-Sèvres (79) poursuit sa réflexion sur ce sujet : « J’avoisine les 3000 euros de frais vétérinaire tous les mois, confie-t-elle. Il faudrait qu’à chaque fois que quelqu’un me ramène un chat, je demande une participation. Mais j’ai encore un peu de mal. »